A l’occasion de la journée internationale de la langue maternelle organisée par l’UNESCO, qui s’est déroulée cette année le mardi 21 février, il nous semble important de souligner les enjeux sociaux essentiels qui s’articulent autour de la maîtrise de la langue française, particulièrement dans un contexte d’accueil et d’insertion des primo-arrivants. En tant qu’organisme de formation de l’Economie Sociale et Solidaire, nous dispensons des formations dans le domaine de la linguistique (Français Langue Etrangère – FLE) qui soutiennent des parcours d’insertion longs et complexes, au cœur desquels se trouve la nécessité d’apprendre une langue nouvelle pour se reconstruire, une langue d’accueil garante d’inclusion et d’un chemin possible pour un avenir plus serein.
Comment inclure l’autre qui parle une langue différente de la nôtre ? La question est surtout sociale pour nous, qui baignons dans notre langue maternelle au quotidien et qui n’avons pas à la quitter à cause de contextes sociaux, politiques, économiques ou environnementaux difficiles. En revanche, pour celles et ceux qui sont contraints de quitter un pays et ses codes culturels, l’abandon forcé de leur langue maternelle est souvent synonyme d’un exil intérieur : ne plus être en capacité d’être compris ni de pouvoir se faire comprendre dans un autre pays, avec d’autres codes, par d’autres personnes. En conséquence, comment parvenir à satisfaire ses besoins de sécurité et d’appartenance fondamentaux sans cette maîtrise indispensable de la langue d’accueil ?
Le besoin d’un emploi stable, d’être informé sur son environnement, d’être en contact avec les autres… Autant de problématiques qui émergent avec la perte des repères essentiels dont la langue maternelle est l’origine et le garde-fou. C’est alors, pour les « exilés de leur langue », une question vitale qui se joue dont la seule réponse collective appropriée est celle de l’entraide et de l’accueil.
Selon Jacques Derrida, philosophe français des années 60 et 70, l’accueil de l’autre est une responsabilité éthique fondamentale, toujours marquée par l’incertitude, la vulnérabilité et l’impossibilité de maîtriser l’autre, d’où la nécessité d’ouvrir les frontières et de remettre en question les catégories qui nous séparent dans nos identités et qui créent des hiérarchies et des exclusions. Derrida a également souligné que l’accueil de l’autre ne peut jamais être accompli de manière isolée ou individuelle. Il doit être réalisé collectivement, à travers des institutions et des pratiques sociales qui reconnaissent la valeur de l’autre et qui créent des espaces de dialogue et de coexistence pacifique (https://www.philomag.com/philosophes/jacques-derrida-0).
Si, à l’heure actuelle, les dispositifs institutionnels existants tels que l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Insertion) permettent aux primo-arrivants une première prise en charge collective, quels sont ensuite les lieux d’accueil, de formation et d’action du collectif en mesure de leur permettre l’accès à la maîtrise du français, notamment par le FLE, ainsi qu’à des pratiques sociales variées et ouvertes, inclusives, non discriminatoires ? Les associations, à n’en pas douter, sont un levier important pour cet accès au même titre que les entreprises, qui peuvent contribuer à l’apprentissage puis à l’évolution sociale et professionnelle des primo-arrivants par le biais de la formation professionnelle continue.
En ce sens, l’inclusion et l’aide que nous leur portons est l’affaire de tous. Pas seulement de l’Etat ni des associations, mais aussi des acteurs du monde du travail. Pour citer Jacques Derrida, « l’accueil n’est pas seulement une question de bonnes manières, de politesse ou d’éthique, mais il engage une structure ontologique qui implique la responsabilité éthique, politique et juridique. » C’est-à-dire que l’engagement des associations et des entreprises doit s’établir autour de la responsabilité citoyenne qui leur incombe, pour ne pas être un vain discours mais des actes qui donnent du sens aux mots.
Qui plus est, l’inclusion est un des 5 axes majeurs de la Responsabilité Sociétale des Entreprises. Une entreprise qui décide de se porter garante de l’insertion et de la formation professionnelle continue d’un primo-arrivant s’oriente aussi, en conséquence, vers des objectifs de développement durable (réduction des inégalités et promotion de la paix et de la justice) qui contribuent à actionner une résilience politique et sociale juste car concrète.
En conclusion, si les enjeux humains derrière l’apprentissage du FLE sont évidents tant la maîtrise de la langue française est déterminante dans l’insertion des primo-arrivants, le rôle des associations et des entreprises est peut-être moins évident, moins visible, néanmoins tout aussi déterminant. En effet, c’est en multipliant les partenariats entre associations et entreprises engagées dans une démarche d’accueil et en créant un tissus social cohérent et solide que nous parviendrons au mieux à faire de l’accueil un mot qui ne soit pas seulement un concept philosophique, mais une réalité au service de l’humanité.